Projets ambitieux d'infrastructure IT en temps de COVID : mission impossible ?
Point de vue de Madjid KADI, Expert CIO Advisory chez LOFEDI CONSEILS
Lors du premier confinement, beaucoup d’entreprises ont mis un coup d’arrêt à leurs appels d’offres et suspendu leurs budgets consulting. Mais voyant l’importance du digital dans le contexte pandémique, elles ont assez rapidement repris, bien que faire du conseil à distance représentait tout de même un défi. Madjid KADI partage son point de vue sur la question.
Vous travaillez actuellement sur un projet international prioritaire et stratégique d’implémentation d’un ERP au sein d’une institution financière française : quels sont les plus gros challenges que vous rencontrez, notamment dans cette période d’instabilité liée au COVID ?
L’arrivée de la pandémie a causé une vague de panique au sein des entreprises, qu’il est plus aisé de commenter maintenant que les choses se sont un peu tassées. N’ayant pas de visibilité et surtout, pas confiance en leur capacité de déployer des projets à distance, le premier challenge a été un moment de flottement suite à l’annonce du premier confinement.
Nous rencontrons deux types de challenges : ceux liés à la pandémie, et ceux qui sont inhérent à tout type de projet de transformation. Les challenges liées à la situation sanitaire évoluent constamment mais globalement, il s’agit de difficultés liées à la nécessité de travailler à distance. Lors du premier confinement, les inquiétudes des clients concernaient principalement la sécurité des données, la capacité des consultants à maintenir un niveau de productivité qui leur permette de constater un retour sur investissement, et la nécessité d’éviter tout sentiment d’isolement dans leurs équipes internes et externes.
Dès le premier confinement, nous avons pu rassurer l’ensemble de nos clients. Chez mon client, plus précisément, j’ai eu à cœur de briser certains aprioris, en faisant la preuve qu’un seul leitmotiv est le véritable facteur de succès, en tant de crise ou non : une bonne organisation.
Nous connaissons tous l’importance d’une bonne gouvernance dans la réussite d’un projet, quel qu’il soit. En l’occurrence, lorsqu’il s’agit de conduire un projet stratégique à plusieurs millions d’euros entièrement à distance, il faut s’assurer que les éléments suivants sont en place :
- De bons outils de travail, accessibles à toute l’équipe projet : cela peut paraitre évident mais, par exemple, il suffit que certaines parties prenantes aient l’habitude de communiquer via Skype et d’autres Teams, pour que la coordination et l’organisation de points s’en trouvent perturbés. Définir, dès le départ, les outils de communication permettra de ne pas se reposer la question à l’organisation de chaque point.
- Des méthodes de continuité du projet en mode agile : s’il faut transformer vos « Stand up meetings » en « Sit down meetings », faites-le en vous assurant que ce ne soit pas le moment pénible qui entame la journée des équipes, mais un moment convivial qui rythme la journée et permet à tout un chacun de lever ses alertes et repartir avec une « To Do » réalisable et pertinente au regard du planning projet.
- Une capacité à mettre de l’humain dans toutes les interactions : c’est prendre le temps de demander à son interlocuteur comment il va à chaque point, avant de rentrer dans le vif du sujet. Beaucoup de nos clients ont excellé dans cela et ont permis à nos consultants de ressentir une proximité avec eux.
Quand ces quelques principes sont observés et qu’en plus, la gouvernance projet est claire et validée par les Sponsors, avec des Responsables métier et IT bien identifiés, la mission a autant de chance – peut-être même plus -, de réussir que si elle était en 100% présentiel.
Quel que soit le sujet, le projet, les chantiers, il faudrait avoir à l’esprit un concept particulièrement efficace, emprunté à la Logistique : Harmoniser et Synchroniser pour accélérer les flux.
- Harmoniser, c’est parler le même langage
- Synchroniser, c’est parler au bon moment.
Le résultat ? Du travail fait, et très bien fait !
Plus largement, comment résumeriez-vous les facteurs clés de succès que vous avez pu observer au long de vos 15 ans de carrière ?
Ce que j’ai pu observer, client après client et qui fait la différence entre un projet de CIO Advisory qui fonctionne, et un autre qui sera abandonné en cours ou dépassera le budget et le planning, c’est la l’importance donnée au Sponsorship. Et ce qui fait la différence entre un projet qui sera pérennisé, et un autre qui sera enterré aussitôt que les consultants auront plié bagage, c’est le Change Management. Du coup, lorsque le Sponsorship et le Change management sont bien paramétrés, c’est le duo gagnant. Cela est d’autant plus vrai en temps de COVID.
Il vous faut un SPONSOR fort qui croit au projet et, surtout, qui « pèse » dans l’entreprise, avec une vision claire et fédératrice. Cet aspect fédérateur est également porté par le CHANGE MANAGEMENT, dont le but n’est ni plus ni moins que d’obtenir l’adhésion de toutes les parties prenantes à l’utilité même du projet. Expliquer aux gens ce que le « Bing Bang » va impliquer : « voici comment vous travaillez aujourd’hui, voilà comment vous travaillez demain ». Tout cela a l’air de couler de source et pourtant, c’est souvent ce qui fait défaut dans les projets à forts enjeux.
Je peux citer l’exemple d’un client dans le domaine des chantiers navals qui avait lancé un projet d’implémentation d’ERP de planification et gestion de programmes (Planisware). Ce projet devait durer 1 an mais, au bout de 3 ans, il n’avait toujours pas porté ses fruits. Le « turnover » de consultants était très élevé et la motivation des équipes internes au plus bas. Nous sommes intervenus pour former plus de 5 000 employés qui n’étaient plus embarqués sur le projet et ne croyaient plus en sa pertinence. Nous avons pu obtenir leur engagement, en leur montrant les bénéfices concrets qu’ils tireraient de la transformation.
Plus précisément sur l’implémentation d’ERP, quel est le meilleur moment pour une entreprise ? Ne vaut-il pas mieux attendre la fin de la pandémie avant d’initier des projets trop ambitieux ?
Tout projet est un bouleversement de l’existent. S’il fallait donc toujours attendre « le bon moment », il se pourrait qu’on n’entame jamais rien. Les vraies questions qu’il faut se poser, c’est
- Ai-je besoin d’améliorer l’un de mes outils ?
- Si oui, veux-je remplacer tout l’outil, ou seulement une partie ?
- Quel serait l’objectif de mon projet, si je devais le lancer ?
En répondant à ces trois questions, vous faites déjà le plus gros du travail. Il s’agira d’identifier un sponsor qui partage votre vision et qui saura porter le projet, comme je le disais précédemment. Avec ce dernier, identifiez les leaders qui vont vous servir sur ce projet. Identifiez ensuite vos facteurs clés de succès et, sans avoir encore rien lancé officiellement, vous créez cette gouvernance fédératrice qui imprime dans vos parties prenantes la conviction de l’utilité du projet, et la nécessité de leur participation à cette aventure. Quand il s’agira d’effectivement lancer le projet, ce sera une évidence pour tous.